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Reconnaissance du contrat de travail liant Uber à ses chauffeurs : la fin du statut d’indépendant !

La saga Take It Easy[1] et Deliveroo[2] n’est, semble-t-il, pas terminée puisqu’est venu le tour d’Uber. En effet, le 4 mars 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt retentissant dont la traduction en plusieurs langues par divers médias fait preuve.[3]

Une nouvelle fois, la justice française s’est tournée vers la protection des travailleurs en décidant de requalifier en contrat de travail la relation contractuelle unissant la société Uber et l’un de ses ancien chauffeurs.

Que dit l’arrêt ? 

La décision de la Cour de cassation fait suite à un pourvoi soulevé par la société Uber et vient confirmer la position adoptée par la cour d’appel de Paris le 10 janvier 2019.[4]

Pour apprécier l’existence d’une relation de travail, la Cour de cassation se fonde sur trois critères, à savoir (i) l’existence d’une prestation de travail, (ii) d’une rémunération, et (iii) d’un lien de subordination qui implique un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction. C’est ce dernier critère qui a amené la Cour à rejeter le pourvoi formé par Uber en considérant que “lors de la connexion à la plateforme numérique Uber, il existe un lien de subordination entre le chauffeur et la société. Dès lors, le chauffeur ne réalise pas sa prestation en qualité de travailleur indépendant mais en qualité de salarié.”

La qualité de salarié entraîne de lourdes conséquences tant pour Uber, se retrouvant soumis à de nombreuses d’obligations, que pour ses chauffeurs, jouissant désormais d’un statut bien plus protecteur. 

Quelles conséquences convient-il d’en tirer ?

C’est tout particulièrement l’application du Code du travail et du statut de salarié qu’il convient de souligner. En pratique, un chauffeur Uber aura notamment droit aux congés payés, au Smic, et au respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire. En cas d’arrêt maladie, il pourra prétendre à des indemnités journalières de sécurité sociales. Idem en cas d’accidents de travail et maladies professionnelles, pour lesquels il pourra bénéficier de tous les droits applicables. Enfin, le chauffeur salarié voyant son contrat requalifié en CDI pourra contester une rupture qui s’analyse en un licenciement, et toucher les indemnités afférentes. 

Cette décision a été vivement critiquée par Uber tout d’abord, arguant qu’elle ne reflète pas les raisons pour lesquelles les chauffeurs “choisissent d’utiliser l’application Uber à savoir l’indépendance et la flexibilité qu’elle permet”. La Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE) estime elle aussi qu’une telle position risque de condamner les multiples plateformes existant en France et faisant travaillant des centaines de milliers de personnes. 

Quelle portée faut-il lui attribuer ? 

La portée de cet arrêt doit cependant être relativisée. Tout d’abord, cette décision n’entraîne pas de requalification automatique en salarié de tous les chauffeurs utilisant l’application : pour se voir attribuer la qualification de salarié, chaque chauffeur devra individuellement faire valoir ses droits. De plus, il s’agit de l’unique affaire en requalification perdue par Uber. 

Cependant, cet arrêt amène à réfléchir sur la création d’un statut intermédiaire entre le salariat et les indépendants, à l’image de ce que proposent certains États voisins comme le Royaume-Uni ou encore l’Italie. L’actuelle Ministre du travail, Muriel Pénicaud, semble avoir compris la nécessité de trouver un compromis entre protection et liberté puisqu’elle a annoncé le lancement d’une mission qui devrait aboutir à des propositions sur le sujet d’ici l’été prochain. 

Restons vigilants, la saga n’est peut-être pas finie…


[1] Cass. CH. Soc., arrêt n°1737 du 28 novembre 2018 (17-20.079)

[2] Cons. Prud’h. Paris, sect. Commerce, ch. 3, 4 février 2020, n°19/07738

[3] Cass. Ch. Soc., arrêt n°374 du 4 mars 2020 (19-13.316)

[4] CA Paris, 10 janvier 2019, n° RG 18/08357

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