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Loi de finances pour 2022 et fiscalité des actifs numériques : le législateur se saisit de la folie des crypto-monnaies !

S’il est sûrement trop ambitieux de parler d’Âge d’or des crypto-monnaies, le Bitcoin, dont la création est attribuée à Satoshi Nakatomo (1), et autres coins (2), commencent à intéresser le grand public – et non plus seulement les adeptes de technologie. Grâce au système de blockchain, le réseau d’échange fonctionne de manière totalement décentralisée et anonyme.

Fonctionnement et intérêt de la blockchain

La blockchain est un système informatique permettant d’écrire de manière indélébile une transaction entre deux parties. C’est un registre transparent que chacun peut consulter, sans jamais pouvoir modifier les entrées précédentes. Ce registre est constitué de blocs qui contiennent des centaines de transactions : ces blocs s’ajoutent les uns aux autres pour former une chaîne d’où le terme de blockchain. Pour assurer ce processus, des individus ou entreprises, appelés mineurs, mettent à disposition la puissance de calcul de leurs ordinateurs pour effectuer les calculs nécessaires au fonctionnement de la blockchain. C’est l’activité dite de minage. Cette puissance de calcul permet de vérifier la validité de toutes les transactions enregistrées dans la blockchain. Ces mineurs sont rémunérés en crypto-monnaies en échange de leur puissance de calcul. En assurant la fiabilité de tout le réseau, les mineurs permettent à la blockchain de créer de la confiance entre deux parties sans recourir à un tiers.

Les success stories des quelques visionnaires ayant investi dans le Bitcoin dès les années 2008-2009 (pièce qui ne valait alors que quelques centimes), devenus multimillionnaires voire milliardaires aujourd’hui, séduisent de plus en plus de particuliers qui décident de s’aventurer sur les échangeurs. À tort ou à raison, puisque la pièce vaut actuellement plus de 50 000$… Mais les nombreux autres projets crypto émergents laissent planer l’espoir d’une fortune à venir ou, a minima, d’une belle plus- value à la revente.

Si le législateur a mis du temps à se saisir du sujet, la loi de finances pour 2022 vient ajouter au régime préexistant pour donner davantage de choix aux profanes et encadrer plus strictement les plus-values réalisées par les habitués des plateformes. En effet, la loi distingue selon que les gains sont réalisés à titre occasionnel ou à titre professionnel. Le débat portait jusqu’alors sur la caractérisation de ces gains professionnels.

Le particulier réalisant des opérations occasionnelles donnant lieu à des gains dispose d’une option

L’article 150 VH bis du CGI dispose que les plus-values réalisées par les particuliers lors de la cession d’actifs numériques ou de droits s’y rapportant sont passibles de l’impôt sur le revenu. Ainsi, par défaut, ces plus-values sont imposées à la flat tax, soit au taux forfaitaire de 12,8 % auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux de 17,2%.

L’administration fiscale avait précisé que ce régime d’imposition s’applique aux plus- values réalisées par les particuliers dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé (3). A contrario, les plus-values résultant de l’exercice habituel d’une activité d’achat en vue de la revente d’actifs numériques sont soumises au régime des Bénéfices industriels et commerciaux (BIC), jusqu’au 1er janvier 2023. Ce caractère habituel des opérations était cependant peu praticable : dans les faits, l’administration observait la fréquence et le montant des opérations réalisées pour requalifier l’opération. À compter du 1er janvier 2023, l’administration utilisera les mêmes critères que ceux relatifs aux opérations de bourse (article 70 de la loi de finances pour 2022), par exemple « la détention, la maîtrise et l’usage d’informations et de techniques d’intervention spécialisées ainsi que leur recherche organisée au profit d’opérations boursières nombreuses et sophistiquées (couverture, report, …) » (4).

Ainsi, des contribuables qui auraient recours à des techniques de trading élaborées ou bénéficieraient de frais de transaction préférentiels en contrepartie d’un engagement à échanger un certain volume d’actifs numériques par mois pourraient voir leurs opérations requalifiées en activité professionnelle et donc soumise au régime des BNC (bénéfices non commerciaux) (5).

L’article 79 de la loi de finances pour 2022 prévoit également qu’à compter du 1er janvier 2023, le contribuable pourra exercer une option annuelle pour soumettre ces plus- values de cession d’actifs numériques réalisées dans un cadre non professionnel au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Cette option ne doit pas être confondue avec celle pouvant être exercée pour la taxation des revenus de capitaux mobiliers et des plus-values sur cession de droit sociaux, puisque la loi prévoit que ladite option porte sur le total des plus-values de cession d’actifs numériques réalisées par le foyer fiscal. Une alternative à l’imposition à la flat tax est donc offerte au contribuable disposant d’un faible revenu net global et se situant dans les premières tranches du barème de l’IR.

Les plus-values réalisées dans un cadre professionnel sont imposées selon le régime des bénéfices non commerciaux (BNC) et non plus selon celui des bénéfices industriels et commerciaux (BIC)

Le second apport majeur de la loi de finances pour 2022 s’agissant du régime fiscal des plus-values réalisées à l’occasion de la cession d’actifs numériques concerne les opérations qualifiées de professionnelles. En effet, l’article 70 de la loi complète l’article 92, 1 du CGI et prévoit qu’à compter du 1er janvier 2023, les gains regardés comme provenant d’une activité exercée à titre professionnel seront considérés comme provenant de l’exercice d’une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux. Ces gains seront donc taxés dans la catégorie des BNC. Jusqu’à l’imposition 2022 comprise, seuls les gains de cession d’actifs numériques obtenus en contrepartie d’une activité de « minage », c’est-à-dire de participation à la sécurisation des transactions comme expliqué supra, sont imposés dans la catégorie des BNC. Pourrait- on y voir une réticence nouvelle du législateur à considérer ces activités d’achat-revente de pièces virtuelles comme des actes de commerce, tant la dimension spéculative est prégnante ?

Toujours est-il que malgré les appels à la prudence de la Banque Centrale Européenne, qui rappelle que ni le Bitcoin, ni les autres crypto-monnaies n’ont cours légal, le recours à ces dernières pour les transactions de la vie quotidienne se développe. Le fabricant américain de voiture électriques TESLA accepte les paiements en bitcoin, de même que Microsoft ou AT&T (premier opérateur mobile aux Etats-Unis). Notons que le Salvador (pays d’Amérique centrale), est le premier Etat à avoir donné cours légal au bitcoin en septembre 2021… La France et l’Europe pourraient-elles connaître un jour le même destin ? L’euro numérique est déjà dans les projets de la BCE : affaire à suivre.

(1) Pseudonyme utilisé par la ou les personnes ayant développé le Bitcoin sur les forums internet, à partir de 2008.

(2) Pièces numériques, aussi appelées token

(3) BOI-RPPM-PVBMC-30-10 n°10, 02-09-2019

(4) BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-10 n°60, 12-09- 2012

(5) Et non plus BIC à compter du 1er janvier 2023

Sources :

. L’Agence Delta, « Litebit : vers une crypto-monnaie plus accessible, plus simple et tout aussi fructueuse », le Figaro, publié le 11 janvier 2022,

. PONTIROLI, Thomas, « Au Salvador, le bitcoin comme monnaie officielle ne convainc pas encore », Les Echos, paru le 06/01/2022

. « Tesla rouvre la porte à un paiement en bitcoin, sous réserve d’une devise moins polluante », Le Monde avec AFP, publié le 14 juin 2021

. « Qu’est-ce que le Bitcoin », site de la Banque Centrale européenne, consulté le 12 janvier 2022

. « Un euro numérique », Banque Centrale Européenne, consulté le 12 janvier 2022 Feuillet Rapide Fiscal/Social 2/22 page 26

. Articles 70 et 79 de la loi de finances pour 2022

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