directionDJCE@univ-rennes1.fr +33(0)2 23 24 64 91

Le secret professionnel de l’avocat conseil en danger ?

La commission mixte paritaire (CMP) s’est réunie jeudi 21 octobre dernier et est parvenue à s’accorder sur une version finale du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, porté par le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti. C’est notamment sur la question du secret professionnel de l’avocat que les débats ont porté.

En l’état du droit positif, l’avocat est soumis au secret professionnel par l’article 4 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 : « Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel. ». Ainsi, le Règlement intérieur national de la profession d’avocat, dans son article 2, dispose que ce secret est général, absolu et illimité dans le temps. Il s’applique tant dans le domaine du conseil que celui de la défense (article 2.2). Cependant, le décret précité prévoit deux dérogations au secret professionnel : lorsqu’il s’agit pour l’avocat d’assurer sa propre défense et lorsque la loi le permet ou l’impose.

Le projet de loi imaginé par l’exécutif prévoyait d’intégrer le secret professionnel de la défense au sein de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, formulé comme suit : « Le respect du secret professionnel de la défense est garanti au cours de la procédure dans les conditions prévues par le présent
code ».

Souhaitant aller au-delà et étendre la protection du secret professionnel de l’avocat, les députés avaient voté à l’unanimité des amendements pour que les activités de conseil des avocats, comprenant notamment la matière fiscale, soient aussi protégées. Néanmoins, tenant compte des préoccupations des services d’enquêtes spécialisés dans la fraude fiscale, la corruption internationale et les pratiques anticoncurrentielles, les sénateurs avaient modifié le texte en introduisant des exceptions à cette protection, notamment lorsque les enquêtes judiciaires portent sur des infractions de fraude fiscale, de corruption, de trafic d’influence ou de blanchiment.

Les sept députés et sept sénateurs composant la CMP ont ainsi confirmé la version des députés, posant le principe général d’une protection égale du secret professionnel de l’avocat, défense comme conseil. Toutefois, la CMP s’est également accordée sur deux exceptions, visées à l’article 3, 2° bis, alinéa 3 du projet de loi : « (…) le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction » :

  • Portant sur des faits de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence et blanchiment de ces délits, « si les consultations ou pièces détenues par l’avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission de ces infractions ».
  • « Lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction ».

Cette seconde hypothèse fait écho aux préoccupations du Parquet national financier (PNF), institution représentant le ministère public instaurée par la loi du 6 décembre 2013 pour lutter contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Les magistrats du PNF avaient en effet alerté sur le recours croissant aux cabinets d’avocats par certains individus pour dissimuler leurs actions sous couvert de consultations juridiques.
Face au compromis adopté par la CMP, le Conseil National des Barreaux (CNB) s’est insurgé via un communiqué sur son site internet dès le lendemain, dénonçant un « état d’insécurité juridique permanent » et appelant le gouvernement à faire déposer un amendement revenant sur ces exceptions lors de la lecture de la CMP qui aura lieu le 15 novembre prochain au palais Bourbon. En effet, en vertu de l’article 45, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958, « le texte élaboré par la commission mixte paritaire peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux Assemblées. Aucun amendement n’est recevable sauf accord du gouvernement ». Ainsi, députés et sénateurs ne peuvent plus proposer de leur propre chef de modification du texte. Seul l’exécutif pourra décider de revenir sur les exceptions au secret professionnel de l’avocat, sources de discorde.

Dans l’hypothèse où le gouvernement ne ferait pas usage de son pouvoir, autrement dit, si le texte était adopté tel quel, le président du CNB Jérôme Gavaudan a estimé que ces exceptions au secret professionnel de l’avocat étaient « strictement encadrées » et resteraient « sous le contrôle du bâtonnier et du juge des libertés et de la détention à tout moment en cas de perquisition ou d’écoute ».


Affaire à suivre…

Sources :

. DORANGE, A., « Que prévoit la version initiale du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ? », Village de la justice, 14 avril 2021

. JACQUIN, Jean-Baptiste, « Loi « justice » : le secret des avocats limité », Le Monde, 23 octobre 2021

. « Commission mixte paritaire sur le secret : un compromis totalement inacceptable sur le dos des justiciables et des avocats », site du Conseil National des Barreaux, 22 octobre 2021

. « Présentation du PNF », site du tribunal de Paris · Article 45 de la Constitution du 4 octobre 1958

. Décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat

. Article 2 du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat

Votre commentaire