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Lanceurs d’alertes : une transposition générale de la directive visant à améliorer leur protection

L’Assemblée Nationale a adopté en première lecture, mercredi 17 novembre, les propositions de loi entraînant la transposition de la directive européenne 2019/1937 du 25 septembre 2019.
Cette directive, devant être transposée avant la fin de l’année, a pour but de renforcer la protection des lanceurs d’alertes dans les compétences de l’Union européenne. Toutefois, les États membres peuvent généraliser les dispositions de la directive à l’ensemble du statut du lanceur d’alerte
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La France a choisi une transposition ambitieuse de la directive et va imposer une protection renforcée par rapport à la loi Sapin II. Chose rare, la transposition a lieu par proposition parlementaire sous l’impulsion du député Sylvain Waserman (Modem). Cela s’explique par la sensibilité politique du sujet. En effet, les lanceurs d’alertes sont devenus essentiels au bon fonctionnement de nos démocraties en rendant publiques des informations utiles à l’intérêt général.

Deux propositions de lois vont être examinées : la première est la proposition de loi organique sur le rôle du Défenseur des Droits et la seconde est la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.

Cette transposition va profondément modifier le statut du lanceur d’alerte et corriger les imperfections de la loi Sapin II. Cette loi de 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et la modernisation de l’économie représente l’essentiel des règles protectrices sur les lanceurs d’alertes.

En 2020, un rapport d’évaluation de la loi Sapin II a été confié aux députés Raphaël Gauvain (LREM) et à Olivier Marleix (LR).Cette évaluation, plutôt positive, montre que la loi a permis de protéger les entreprises françaises contre les stratégies extraterritoriales d’autres pays, de sanctionner efficacement des faits de corruption et de développer une culture de la prévention des atteintes à l’intégrité.

Ces progrès, réels, restent toutefois insuffisants et le rapport formule ainsi cinquante propositions afin d’améliorer la politique de lutte contre la corruption.

Une protection plus ambitieuse

L’article 6 de la loi Sapin II définit le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave » d’un engagement international de la France ou « une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général dont elle a eu personnellement connaissance ».

La transposition va modifier certains éléments pour ajuster la définition et renforcer le statut des lanceurs d’alertes.

Tout d’abord, la proposition de loi modifie l’expression de « manière désintéressée » par « sans contrepartie financière directe ». En effet, la notion de désintéressement est jugée ambiguë et pouvait mettre en difficulté le lanceur d’alerte dans le cas d’un recours pour obtenir des indemnités. La notion de bonne foi est, elle, toujours présente et n’est pas précisée, comme le préconisait le rapport d’évaluation de la loi Sapin II.

Le critère de gravité des violations est aussi abandonné, l’article 1 indique que le lanceur d’alerte ne devra plus avoir eu personnellement connaissance de l’information, sauf lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre de ses activités professionnelles.

En outre, les termes « révèle ou signale » sont échangés par « signale ou divulgue ». Cependant, certains champs sont exclus du contenu de la transposition et ne peuvent pas faire l’objet d’une alerte comme cela était déjà le cas dans la loi Sapin II. Le II de l’article premier prévoit, comme la directive, que le secret-défense, le secret médical, le secret de l’enquête et de l’instruction et le secret professionnel de l’avocat (qui remplace la notion de « relations entre un avocat et son client ») sont exclus du régime de l’alerte.

L’article 2 élargit le champ des personnes protégées. Le texte couvre les éventuels facilitateurs qui aident un lanceur d’alerte. Toutefois, cet élargissement est limité aux personnes physiques et aux personnes morales à but non lucratif. Sont ainsi concernés les syndicats, les Organisations Non Gouvernementales, les personnes liées au lanceurs d’alerte ou à leur entreprise.

Alors que le droit français existant favorisait l’alerte interne (auprès de l’entreprise), la transposition prévoit la disparition de la hiérarchie entre les canaux de signalement à l’article 3.

L’alerte externe, auprès des autorités ou par divulgation publique, n’est plus lésée. Cette évolution est bénéfique pour le salarié qui souhaite lancer une alerte sur l’entreprise où il travaille, le canal interne pouvant avoir un effet dissuasif.

Les autorités concernées par l’alerte externe sont les autorités publiques fixées par décret, l’autorité judiciaire, le Défenseur des droits et les instances de l’Union européenne compétentes.

Quant à la divulgation publique (par voie de presse notamment), elle sera possible dans certains cas précis, plus larges qu’actuellement. Ces cas sont :

  • l’absence de réponse appropriée aux alertes internes et externes sous 3 ou 6 mois ;
  • la présence d’un danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général ;
  • lorsque l’alerte externe ne peut « permettre de remédier efficacement à l’objet de la divulgation », qu’elle fait encourir à son auteur un risque de rétorsions ou en raison de « circonstances particulières de l’affaire » (destruction de preuves ou collusion)

La transposition prévoit, dans son article 5 les représailles contre lesquelles les lanceurs d’alerte sont protégées. Les représailles déjà prévues par la loi sont reprises par une

référence à l’article L 1132-3-3 du Code du travail : licenciement, sanction, refus de promotion…
En outre, celles-ci sont élargies à d’autres situations pour protéger les personnes contre tout préjudice dont les atteintes à la réputation de la personne, les pertes financières, d’activité ou de revenu.

Sont aussi intégrés la modification des horaires de travail, l’évaluation de performance négative, la coercition, l’intimidation, le harcèlement ou l’ostracisme, la non-conversion d’un contrat temporaire en un contrat permanent, la mise sur une liste noire.

L’article inclut également les cas où un contrat serait résilié de manière anticipée, une licence ou un permis annulé, voire une orientation abusive du lanceur d’alerte vers un traitement psychiatrique ou médical.

Par ailleurs, les actions relatives au droit d’alerte ne pourront « faire l’objet d’une renonciation ni être limitées par un quelconque accord ou une quelconque politique, forme d’emploi ou condition de travail ».

Les sanctions pénales et civiles

En cas de recours contre une mesure de représailles, si la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu’elle a lancé une alerte, la partie défenderesse devra prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers au signalement.

Le lanceur d’alerte bénéficiera d’une irresponsabilité civile et pénale sur le délit de divulgation du secret.
Si le lanceur d’alerte considère qu’il fait l’objet d’une représailles ou d’une procédure bâillon, il pourra alléguer que cette procédure constitue une mesure de représailles et demander au juge de lui allouer une provision pour frais de l’instance. À noter, que l’article 7 permet aux fonctionnaires de saisir le juge administratif en référé liberté pour prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde du droit d’alerte.

L’auteur de manœuvres dilatoires ou abusives pourra être condamné à une amende civile allant jusqu’à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts ou jusqu’à 60 000 €.

Enfin, le même article 8 prévoit un délit pénal de représailles puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

Le rôle du Défenseur des droits

L’article 9 permet aux autorités responsables d’un canal de signalement externe de mettre en place des mesures de soutien psychologique et d’accorder un secours financier temporaire aux lanceurs d’alerte, notamment si leur situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement.

Le Défenseur des droits devra établir une procédure permettant le recueil des alertes externes ainsi qu’orienter et traiter les signalements relevant de sa compétence. Il pourra aussi se prononcer sur la qualité de lanceur d’alerte d’une personne.

Enfin, le Défenseur des droits réalisera un rapport annuel sur la protection des lanceurs d’alerte en France.

Suite à l’adoption en première lecture du texte par l’Assemblée Nationale, il faudra attendre la décision du Sénat pour connaître l’avenir des lanceurs d’alertes.

Sources :

. Proposition de loi organique sur le rôle du Défenseur des Droits

. Proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte

. Lanceurs d’alerte : la transposition arrive à l’Assemblée, Pierre Januel, Dalloz Actualité

. Lanceurs d’alerte : les textes de transposition de la directive, Pierre Januel, Éditions législatives

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