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La responsabilité de l’absorbante pour les infractions économiques commises par l’absorbée

Le 1er octobre 2019, la CEDH1 rejetait la requête de la société Carrefour France visant à faire reconnaître une violation de l’article 6 de la CEDH dans sa condamnation à une amende civile pour des infractions économiques commises par sa filiale avant qu’elle ne l’absorbe. 

Carrefour France avait en effet été condamnée en 2012 par la Cour d’appel d’Orléans pour des violations de l’article L.442-6 ancien du Code de commerce commises par sa filiale (obtentions d’avantages manifestement disproportionnés de ses fournisseurs). Le 21 janvier 20142, son pourvoi en cassation fondé sur une violation du principe constitutionnel de personnalité des peines était rejeté par la Cour de cassation, qui venait affirmer, dans la droite ligne de la jurisprudence française, que « le principe constitutionnel de personnalité des peines ne fait pas obstacle au prononcé d’une amende civile à l’encontre de la personne morale à laquelle l’entreprise a été juridiquement transmise ». 

Cette solution s’explique par trois raisons : tout d’abord, l’amende était prononcée pour des faits qui n’étaient pas constitutifs d’une infraction pénale. Puis, la sanction n’avait pas directement le caractère d’une punition puisque son rôle tendait à restaurer l’équilibre économique dans les relations commerciales entre professionnels et à réparer le préjudice collectif subi par l’ensemble des acteurs. Enfin, le texte visait les manquements imputables aux entreprises, sans considération de leur statut juridique. 

Le Conseil d’Etat avait déjà adopté la même solution à propos des amendes fiscales et boursières. Afin de préserver le caractère effectif et dissuasif des pénalités fiscales, la Haute juridiction Administrative3 considérait que le principe de la personnalité des peines ne faisait pas obstacle à ce que ces sanctions soient mises à la charge de la société absorbante ou nouvellement créée pour réaliser la fusion ou issue de la scission. Il en est de même en matière de sanctions disciplinaires prononcées par l’AMF, dont le caractère pécuniaire selon le Conseil d’État4, permettait l’imputation à la société absorbante. 

Seule persiste en droit français la limite des sanctions à caractère pénal stricto sensu. Lorsqu’une instance pénale est pendante et que l’accusée est dissoute par voie de fusion-absorption, cela entraîne l’interruption des poursuites, comme la chambre criminelle de la Cour de cassation5 le rappelait encore il y a peu : « l’article 121-1 du code pénal ne peut s’interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l’encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière perde son existence juridique ». Il en va cependant différemment lorsque la sanction a déjà été prononcée à l’encontre de l’absorbée avant l’opération de fusion : l’absorbante recueille par l’effet de la fusion l’intégralité du patrimoine de l’absorbée en qualité d’ayant droit à titre universel et peut se voir opposer la chose jugée à l’égard de cette société6

Afin de rejeter la requête fondée sur une violation du principe de personnalité des peines, l’arrêt de la CEDH du 25 octobre 2019 valide l’approche adoptée par la Cour de cassation fondée sur la continuité économique de l’entreprise. Dès lors que la fusion-absorption a permis sa continuité économique et fonctionnelle, il n’y a pas eu méconnaissance du principe de personnalité des peines. Elle relève en outre que permettre à une personne morale de s’exonérer des infractions commises en se faisant absorber, rendrait vaines les incriminations adoptées par le législateur. Enfin, la Cour Européenne des Droits de l’Homme observe que la société Carrefour hypermarché France a été absorbée par la société requérante par dissolution avec transmission universelle de son patrimoine, la décision de procéder à cette fusion-absorption ayant été prise par la société requérante elle-même, alors qu’une saisine avait déjà été introduite par la DGCCRF devant le tribunal de Bourges. 

Ces précisions illustrent qu’en la matière, la condamnation de l’absorbante à raison des infractions au droit économique commises par sa filiale ne devrait pas être automatique, la détention à 100% de la société fautive par la société mère ainsi que sa décision d’absorber prise après le début des poursuites ayant joué un rôle dans la sanction.  

Pourraient donc échapper au transfert de responsabilité au titre des infractions économiques, sauf hypothèses de fraude, une dissolution suivie d’une liquidation, l’absorption suivie d’un changement d’activité, ou bien l’absorption par une société tierce. 

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