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La primauté du droit de l’UE chahutée

Si depuis 56 ans, l’Union Européenne et sa commission arborent fièrement la primauté de son droit par rapport aux droits nationaux, la décision du tribunal constitutionnel polonais risque quelque peu de lui déplaire. En effet, dans une décision du 7 octobre 2022, la juridiction polonaise a affirmé fièrement que « les organes de l’Union européenne fonctionnent en dehors des compétences qui leur sont confiées dans les traités » secouant ainsi l’UE et les principes admis de longue date. Retour sur cette décision détonante, son contexte, les réactions provoquées et ses conséquences.

Si tant est que l’on puisse mettre un début sur les tensions entre l’UE et la Pologne, il est possible d’affirmer que 2020 fut une année charnière dans le conflit opposant ces deux parties. Son origine résulte d’une loi entrée en vigueur en 2020 et dont l’objectif était de sanctionner les juges qui se permettaient de remettre en cause les réformes de la justice nationale. Dès sa parution, Bruxelles s’est montré fort inquiet pour l’indépendance du pouvoir judiciaire en Pologne et par voie de conséquence pour la démocratie. Elle est ainsi jugée contraire au respect de l’état de droit dans l’UE. La CJUE le confirme en jugeant le 15 juillet 2021 que cette réforme n’était pas conforme car elle ne fournissait pas toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance. Pour Varsovie, déjà en conflit avec l’UE depuis quelques années, s’en est assez, le point de rupture est acté. Il lui apparait nécessaire de rappeler sa souveraineté. Dès lors, le 1er ministre polonais, Mateusz Morawiecki saisit son tribunal constitutionnel et lui demande de se prononcer sur la légitimé des institutions européennes à demander l’annulation de la réforme. C’est ce qu’il fait le 7 octobre 2021.

Ainsi, que dit la juridiction constitutionnelle le 7 octobre 2021 ? Elle conteste la compétence de la CJUE et le principe de la primauté du droit de l’union. Elle déclare ainsi de manière incisive que certains articles du TFUE étaient incompatibles avec la Constitution polonaise et a enjoint les institutions européennes à ne pas agir au-delà du champ de leurs compétences en interférant avec le système judiciaire polonais. La présidente du tribunal, Julia Przylebska, a affirmé que le traité de l’UE était subordonné à la constitution polonaise et qu’il devait à ce titre la respecter. La plus haute loi du pays serait donc la constitution et toutes les normes en vigueur en Pologne doivent la respecter y compris le droit communautaire. Autant dire que cette décision est quelque peu contraire au point de vue de l’UE qui répète à qui veut l’entendre, et ce depuis quelques décennies, que son droit prime sur le droit national de ses états membres, y compris sur les dispositions constitutionnelles. Mais d’ailleurs qu’est- ce que la primauté du droit de l’Union européenne ? Affirmée dans l’arrêt Costa contre Enel en 1964, la primauté du droit de l’union signifie que le droit européen prime

sur les droits nationaux et par conséquent les états membres ne peuvent pas appliquer une règle nationale qui serait contraire au droit européen. La décision du tribunal constitutionnel est donc aux antipodes des principes établis dans l’UE.

Attachée à sa primauté et à ses valeurs, la commission n’a pas tardé à réaffirmer les principes fondateurs de l’ordre juridique de l’Union. Elle rappelle ainsi que le droit de l’UE prime sur le droit national y compris les dispositions constitutionnelles et que tous les arrêts de la CJUE sont contraignants pour toutes les autorités des Etats membres y compris pour les juridictions nationales. La commission européenne n’est pas la seule à avoir réagi. En effet, les réactions sont venues de toutes parts. Professeurs, politiques, tous se disent choqués et profondément inquiets d’une telle prise de position. Parmi eux, Dominique Rousseau professeur de droit public estime que cela ressemble à un coup d’état de la part de la Pologne. Pour sa part, Clément Beaune, secrétaire d’état français aux affaires européennes a déclaré qu’il s’agissait « d’une attaque contre l’Union européenne ». Les autres états européens n’ont pas manqué non plus de réagir, parmi eux notamment les ministres luxembourgeois et allemand, jugeant respectivement que le gouvernement polonais « jouait avec le feu » et qu’il devait appliquer pleinement les règles communes. Le torchon brûlait donc entre la Pologne et les autres membres. Une discussion s’imposait, le sommet de Bruxelles prévu à la fin du mois d’octobre allait en être l’occasion.

Ainsi, le 21 et le 22 octobre, les représentants des 27 états de l’UE réunis pour l’occasion ont demandé au Premier ministre polonais de s’exprimer sur cette crise institutionnelle. Il ressort de ces échanges qu’il admet et reconnait la primauté du droit européen sur le droit national. En revanche, il dénie à la justice européenne, le droit d’intervenir sur la question de l’indépendance de son système judiciaire. En clair, il reconnait la primauté du droit de l’Union européenne sur les compétences que la Pologne a transféré à l’Union européenne mais refuse en revanche la compétence de la CJUE dans les compétences non transférées. Or la justice polonaise n’ayant pas été transférée, la CJUE n’avait pas à intervenir. Les explications semblent plutôt claires, elles n’en demeurent pas moins inquiétantes. En effet, elles posent véritablement un problème puisque la possibilité de l’intervention de la justice européenne permet le maintien d’une confiance entre les états. Sans elle, la confiance ne serait plus. Est-ce à dire que l’on tend vers un Polexit ? Rien n’est moins sûr… En effet, le 1er ministre polonais a expressément déclaré que lui et son pays ne souhaitaient pas nier leur appartenance à l’UE et ne voulaient pas la quitter. Le chef du gouvernement a d’ailleurs déclaré de manière très poétique « que la place de la Pologne est et sera dans la famille européenne des nations ». Ses paroles semblent en adéquation avec les volontés de son peuple puisqu’un récent sondage a démontré que 80% des polonais étaient attachés à leur présence dans l’UE.

Que va-t-il se passer maintenant ? Pour l’heure, le 1er ministre polonais n’a pas manifesté l’envie de cesser la réforme de la justice, bien que celle-ci ait été jugée contraire au droit de l’UE. Les provocations continuent donc… les Etats entendent pour le moment laisser la Commission gérer ce dossier. Mais que risque concrètement la Pologne ? Cette décision ne sera pas sans conséquence, la menace est réelle pour la Pologne. Le commissaire européen chargé de l’économie, Paolo Gentiloni, a d’ores et déjà prévenu que le litige pourrait avoir des conséquences sur le versement des fonds de relance destinés à la Pologne. Ainsi, le versement des 36 milliards d’euros attendu par Varsovie dans le cadre du plan de relance européen anti-covid semble fort compromis. De plus, la CJUE a toujours à sa disposition l’outil du recours en manquement permettant de sanctionner les états récalcitrants. Pour autant, au regard de l’historique de la Pologne, il semblerait que cet outil ne soit pas des plus efficaces, la Pologne accumulant en effet ces recours. La suspension des fonds dans cette perspective semblerait bien plus efficace. C’est d’ailleurs l’avis de l’UE qui estime que le pays pourrait jouer de la résistance un moment mais qu’il n’aura d’autre choix à terme que de craquer pour toucher ses fonds, ce à quoi répond le 1er ministre Polonais, qu’il ne cèdera pas au chantage… Affaire (palpitante ?) à suivre donc…

Sources :

. Le Monde- La remise en cause inédite de la primauté du droit européen par la Pologne ébranle l’Union

. Le Monde- Primauté du droit européen : le premier ministre polonais « prêt au dialogue » avec l’UE

. Actualité- Parlement européen Pologne: les députés appellent au respect de la primauté du droit européen

. Contexte- L’État de droit, cette crise à combustion lente qui menace l’Union

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