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La criminalité en col blanc: affaire « Tapie – Crédit lyonnais », « Kerviel », « Cahuzac », « Madoff »: Le riche tient-il vraiment la loi dans la bourse?

Pendant longtemps les recherches sur la criminalité ont conclu que la délinquance est due essentiellement à la pauvreté et à ses conséquences permettant ainsi de construire une théorie générale de la criminalité. Nageant à contre-courant, Edwin H.Sutherland, dans son oeuvre « The problem of White Collar Crime » (1949) introduit le terme de « white collar crime » ou « criminalité en col blanc » en disant ceci: « Un crime ou un délit en col blanc peut (…) être défini comme un crime ou un délit commis, au cours de ses activités courantes, par un individu bénéficiant d’une respectabilité et d’une position sociale élevée »(1).

Les crimes en col blanc sont socialement acceptables en ce sens qu’en comparaison des crimes de sang, leur impact social est limité, et d’un point de vue des conséquences sur chaque citoyen, celles-ci sont presque indolores. « Il existerait ainsi une insensibilité » (2). C’est ce que l’on appelle aussi « l’effet Téflon » ou l’idée selon laquelle malgré de nombreuses condamnations pénales, les personnes poursuivies ne font pas l’objet d’une disqualification sociale par le reste de la société (3). Les crimes en col blanc sont complexes et leur nature secrète les rend difficilement décelables ainsi que difficilement punissables (4). La fraude fiscale est un exemple d’infraction en col blanc et se définit comme « la soustraction illégale à la loi fiscale de tout ou partie de la matière imposable qu’elle devrait frapper »(5).

Il existe, au vu de l’actualité, un regain d’intérêt pour la criminalité qui concerne les personnes ayant un « rôle social élevé ». En effet, depuis plusieurs années, un certain nombre d’affaires ont retenti dans l’hexagone ainsi que partout dans le monde : affaire « Tapie – Crédit Lyonnais », affaire « Kerviel », affaire « Cahuzac », affaire « Madoff »(6). Il existe parfois, nous semble-t-il, une sorte d’impression parmi les citoyens, que le bandit de grand chemin serait bien plus susceptible de faire l’objet d’une sanction à la suite de la réalisation d’une infraction que celui qui porte « le col blanc », pourtant lui aussi « délinquant ».

Cette citation de Jean-Jacques Rousseau a pour but d’attirer l’oeil du lecteur sur une idée qui semble aussi ancienne que ce type de criminalité. La citation est plus exactement celle-ci : « C’est par eux toujours que l’Etat dégénère : le riche tient la loi dans sa bourse, et le pauvre aime mieux du pain que la liberté. » (7).

Cette idée existera encore longtemps, puisqu’il s’agit de considérer que la classe sociale dont est issu celui qui commet ce genre de crime lui permet en plus de son aisance économique d’échapper à la loi, allant totalement à l’encontre de l’article 6 de la DDHC de 1978 qui prévoit l’égalité des citoyens devant la loi.Cet argument est difficile à systématiser car cela conduirait à penser que tout le système judiciaire français est organisé par les personnes les plus aifées par une clause sociale haute. Néanmoins, il est possible de penser que les moyens financiers, le statut et le réseau que possèdent les personnes de classes sociales élevées leur permettent d’organiser leur défense. Toutefois, on peut retenir que depuis quelques années, un changement dans les schémas de perception de la société s’est réalisé selon lequel : « La délinquance, (…) n’est plus le fait du déshérité ou de l’inadapté social ; elle est la manifestation d’une classe privilégiée (celle où l’on porte le « col blanc »), qui se sert de sa puissance économique et sociale pour commettre une série d’abus au détriment de personnes à qui leur état d’infériorité ne permet souvent pas de se défendre »(8).

Pour conclure, il est certain que la position sociale et les moyens économiques jouent un rôle important dans les capacités qu’ont les criminels en col blanc de se défendre. Mais aussi le fait que la nature des infractions les rend difficilement décelables explique peut-être le nombre de condamnés limité par rapport au nombre potentiel d’infractions réalisées. Enfin, la criminalité en col blanc a un coût social important et cela s’illustre particulièrement par la criminalité financière. Aurore Lalucq dira d’ailleurs à ce sujet : « On sait que la criminalité en col blanc a un impact majeur sur les crises financières. Elle vient alimenter des bulles déjà hypertrophiées. Et au moment où la bulle éclate, c’est là qu’on découvre, la plupart du temps, la fraude » (9). En tout état de cause, le terme « criminalité en col blanc » est propre aux sciences sociales et n’a aucune existence juridique.

Sources :

(1) Edwin H. Sutherland, White Collar Crime, By Edwin H. Sutherland, New York: The Dryden Press, 1949

(2) Rico, J. (1977). Notes introductives à l’étude de la criminalité des affaires. Criminologie, 10(1), 8–28

(3) Pierre Lascoumes, “Élites délinquantes et résistance au stigmate”, Champ pénal/Penal field [Online], Vol. X | 2013

(4) Maxime Reeves-Latour, Quand le crime économique contribue au développement des sciences sociales, Revue criminologie, Volume 49, Numéro 1, Printemps 2016, p. 123–152

(5) Lexique des termes juridiques, 2017-2018 p.541

(6) Gilles Chantraine and Grégory Salle, “Pourquoi un dossier sur la « délinquance en col blanc » ?”, Champ pénal/Penal field [Online], Vol. X | 2013

(7) Jean-Jacques Rousseau, La 9ème lettre écrite de la montagne, 1764 (Paris Gallimard) p. 287

(8) Marc ANCEL,Edwin H. SUTlIERUND et ses Principes de criminologie, introduction à la traduction française des Principes de criminologie (6″ éd.) par le Centre français de droit comparé, Paris, Cujas, 1966

(9) France Culture, La criminalité en col blanc, 07/02 /2018 épisode 3 : « La dimension criminelle des crises »

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