Par la directive (UE) 2019/790 du Parlement Européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique, un quatrième droit voisin est introduit dans le droit européen. Cette directive a ensuite été transposée dans le droit français par la loi n°2019-775 du 24 juillet 2019. Désormais, les éditeurs et agents de presse sont protégés par un droit voisin à l’égard des fournisseurs de services de partage de contenu en ligne. Par une annonce historique du jeudi 19 novembre 2020, le géant du numérique Google a communiqué avoir trouvé un accord avec divers médias nationaux. Ces nouvelles dispositions semblent avoir effectivement rééquilibré le rapport de force entre les géants du numérique et les éditeurs de presse
I. La volonté de protection du marché et des éditeurs de presse
La directive européenne du 17 avril 2019 l’affirme dans son préambule : « Les directives qui ont été adoptées dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins contribuent au fonctionnement du marché intérieur, assurent un niveau élevé de protection aux titulaires de droits, facilitent l’acquisition des droits et instaurent un cadre permettant l’exploitation de ces œuvres et autres objets protégés ». La volonté de protection du marché européen en faisant adopter aux États membres cette directive est explicitement énoncée, le législateur arguant que « ce cadre juridique harmonisé contribue au bon fonctionnement du marché intérieur et stimule l’innovation, la créativité, l’investissement et la production de nouveaux contenus, y compris dans l’environnement numérique, afin d’éviter la fragmentation du marché intérieur ».
Cette directive traduit un changement s’étant produit à l’échelle européenne mais aussi en France. En effet, avec l’émergence de l’internet et des moteurs de recherche, les articles de presse sont repris sur ces plateformes. L’économie se transformant, les éditeurs de presse sont les premières victimes de la baisse des recettes publicitaires en France. L’institut de Recherches et d’Études Publicitaires (IREP) qui publie chaque année ses résultats avait ainsi relevé en 2009 une baisse de 18,1% des recettes nettes globales. L’IREP avait néanmoins relevé que le marché de l’affichage sur Internet était resté stable. Aussi, en 2018, l’Autorité de la concurrence française a rendu un avis (Avis 18-A-03 du 6 mars 2018) sur la publicité en ligne après une enquête sectorielle d’un an. Elle y conclu que le premier média publicitaire en France est l’Internet, avec entre 3,5 et 4,2 milliards d’euros investis en 2016. Cette croissance étant portée par « la généralisation des technologies programmatiques, le développement de la publicité vidéo, et le fort taux d’utilisation des réseaux sociaux, des moteurs de recherche et des plateformes de partage de vidéos ».
Si Google avait proposé le déréférencement aux éditeurs de presse suite à leur mécontentement, leur survie sans les moteurs de recherche d’actualité est toutefois difficilement envisageable.
De ce fait il était impératif de tenter d’apporter une protection aux éditeurs de presse dans une volonté de protection du marché, d’où la directive européenne de 2019 transposée en droit français.
II. Le bras de fer entre Google et les autorités françaises
Le législateur français est le premier ayant transposé la directive européenne créant un nouveau droit voisin pour les éditeurs et agences de presse dans le droit national. Cette loi est entrée en vigueur le 24 octobre 2019. S’ensuivi une véritable épreuve de force entre Google et les autorités françaises. Le moteur de recherche a en effet modifié l’outil de publication des éditeurs de presse, en arrêtant d’afficher les extraits d’articles et de vidéos. Seuls les titres et les liens sont disponibles pour les utilisateurs français. Ce faisant, le moteur de recherche entre dans le champ des exceptions prévu par la directive, et aucune rémunération au titre des droits voisins ne pouvait être accordée aux éditeurs de presse.
L’autorité de la concurrence a été saisie les 15 et 19 novembre 2019 par l’Agence France Presse (AFP) et les organisations professionnelles chargées de représenter les éditeurs et agents de presse dénonçant ces nouvelles pratiques. Dans sa décision n°20-MC-01 du 09 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et l’Agence France-Presse, elle prononce des mesures conservatoires à l’encontre de Google. L’Autorité de la concurrence a ainsi caractérisé la position dominante de Google sur le marché français des services de recherche généraliste. Elle a relevé l’existence de barrières à l’entrée et à l’expansion sur ce marché du fait de la position dominante de Google. Et, elle a qualifié les pratiques dénoncées d’anticoncurrentielles. L’abus de position dominante étant caractérisé, elle condamne Google à entrer en négociation avec les éditeurs et agents de presse afin de remettre en œuvre l’affichage des extraits d’articles de presse, et assurer une rémunération des éditeurs de presse au titre des droits voisins. Cette négociation est soumise à l’impératif de la bonne foi.
Cependant, Google a intenté un recours contre cette décision. Nonobstant, dans une décision du 8 octobre 2020, la Cour d’appel de Paris confirme la décision de l’Autorité de la concurrence. Google est donc condamné à négocier sous 3 mois avec les éditeurs et les agences de presse l’utilisation de leurs articles ainsi que leur rémunération.
III. Un accord historique
Le 19 novembre 2020, Google a annoncé avoir trouvé un accord avec les éditeurs et agences de presse françaises. Dans un billet de blog [1], le géant du numérique affirme avoir trouvé un accord avec « un certain nombre d’éditeurs de la presse quotidienne et des magazines dont Le Monde, Courrier International, l’Obs, Le Figaro, Libération, et l’Express » mais également avec d’autres acteurs de la presse régionale. Cette rémunération se basera sur des critères « objectifs, transparents et non-discriminatoires ». Google affirme également que ces accords ouvriront l’accès à un nouveau programme de licence appelé « News Showcase » qui permettra la publication de contenus entiers de médias et une rémunération supplémentaire des éditeurs par conséquent.
Ces décisions des autorités françaises et ces nouveaux accords entre Google et les éditeurs de presse ont sans nul doute été scrutés avec attention par les autres pays membres de l’Union européenne, la directive devant faire l’objet d’une transposition dans chacun de ces États.
Ces nouveaux développements laissent transparaître une relation plus équilibrée entre les moteurs de recherches et les éditeurs de presse.
Maëlis KOUAKAM
[1] Sébastien Missoffe, « Un point sur nos avancées avec les éditeurs de presse en France, 19 novembre 2020, En ligne : https://france.googleblog.com/2020/11/-droits-voisins.html