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Requalification du contrat de prestation de services d’un livreur en contrat de travail : retour sur la condamnation de DELIVEROO pour travail dissimulé

Le 4 février 2020, le Conseil de Prud’hommes de Paris a condamné la société DELIVEROO FRANCE à verser une indemnité de 30.000€ à l’un de ses livreurs suite à la requalification de son contrat de prestation de services en contrat de travail.[1] Cette décision audacieuse très attendue par les livreurs de telles plateformes, aux conséquences pratiques considérables, mérite d’être expliquée.

De quoi s’agit-il ?

L’entreprise britannique de livraison de plats cuisinés recourt à des travailleurs ayant le statut d’auto-entrepreneur et ne disposant donc pas de contrat de travail. En l’espèce, un livreur embauché en 2015 a contesté la qualification de son « contrat de prestation de service » afin que ce dernier soit requalifié en contrat de travail. Un long combat judiciaire s’est alors enclenché dès 2016 et ce jusqu’au 4 février 2020 où les juges prud’homaux ont reconnu que la société Deliveroo cherchait délibérément à frauder le Code du travail en refusant la qualification dudit contrat en contrat de travail. Ce faisant, la plateforme évitait ainsi d’accorder tous les avantages protecteurs et droits sociaux afférents au statut de salarié à ses livreurs tels que les congés payés, la protection sociale en cas d’accident du travail ou les indemnités de licenciement par exemple. Plus précisément, la société Deliveroo a été condamnée pour « travail dissimulé », acte pénalement répréhensible[2] ayant fait l’objet dudit versement de 30.000€ au livreur.

Pourquoi une telle requalification par les juges ?

L’existence d’un lien de subordination implique nécessairement un contrat de travail. Celui-ci est caractérisé par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».[3] En l’espèce, existait un système de géolocalisation permettant un suivi en temps réel des livreurs par la société ainsi que la connaissance du nombre de kilomètres parcourus via l’application. La société disposait également d’un pouvoir de sanction sur ces derniers (sous la forme de suspension de l’application si un certain nombre d’heures n’était pas effectué par le livreur, explication donnée par l’avocat du livreur Me Kevin Mention).[4] La volonté des parties et la dénomination du contrat ne pouvaient faire obstacle à cette requalification. De plus, le Conseil de Prud’hommes retient également la qualification de travail dissimulé estimant que l’employeur s’était en l’espèce « intentionnellement soustrait à l’accomplissement des formalités relatives à la déclaration préalable à l’embauche, à la délivrance de bulletins de paie, ainsi qu’aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale ».

Et ensuite ?

Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel tendant à admettre de plus en plus facilement la requalification en contrat de travail. En effet, elle fait suite à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 novembre 2018, où une application similaire avait été faite pour un livreur de la plateforme Take It Easy.[5]

Les controverses accompagnant ce statut de livreur travailleur indépendant sont également largement débattues sur la scène internationale, fragilisant ainsi le modèle économique de ces entreprises (notamment en Belgique[6] ou aux Pays-Bas[7]).

Tandis que l’avocat du livreur, Maître Kevin Mention, prévient que cet arrêt pourrait constituer le premier d’une grande lignée, la plateforme à l’inverse semble être confiante en arguant qu’il ne s’agit que d’un cas isolé, prévoyant également d’interjeter appel. Affaire à suivre.


[1] Cons. Prud’h. Paris, sect. Commerce, ch. 3, 4 février 2020, n°19/07738

[2] Art. L.8224-1 Code du travail

[3] Cass. soc., 13 nov. 1996, no 94-13.187, Bull. civ. V, no 386

[4] https://www.lci.fr/population/deliveroo-condamne-pour-travail-dissimule-tous-les-livreurs-sont-potentiellement-concernes-selon-l-avocat-2144871.html

[5] Cass. soc., 28 nov. 2018, n°17-20.079, accessible https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1737_28_40778.html

[6] https://www.sudouest.fr/2020/01/20/belgique-deliveroo-dans-le-collimateur-de-la-justice-pour-non-paiement-de-cotisations-sociales-7085870-4697.php

[7] https://www.lecho.be/entreprises/services/une-nouvelle-condamnation-pour-deliveroo-aux-pays-bas/10157460.html

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