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Rachat par LBO et distribution de dividendes par l’entreprise cible en difficulté : attention à la sanction

Une opération de rachat de société par un fond d’investissement est intervenue en 2006. Une société holding a été créée pour procéder à l’opération d’acquisition par LBO de la société cible. Celle-ci a ensuite procédé à la distribution de dividendes afin de financer le remboursement de la dette d’acquisition de la holding. Pourtant, par deux jugements successifs en date du 30 mars et du 29 septembre 2010, la société rachetée a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire. Les liquidateurs désignés ont alors décidé d’assigner les personnes morales et physiques, dirigeantes de droit et de fait, en responsabilité pour insuffisance d’actif et en prononcé d’une mesure de faillite personnelle contre le dirigeant personne physique. Plusieurs comportements fautifs sont alors invoqués par les liquidateurs. Toutefois, il convient de s’intéresser précisément aux distributions de dividendes de la société opérationnelle à sa holding, selon le schéma de l’opération de rachat par LBO mis en place.  

Les dirigeants ont formé un pourvoi en cassation. Le dirigeant personne physique a d’abord soutenu que les distributions de dividendes litigieuses ne pouvaient être considérées comme fautives dès lors qu’elles sont inhérentes au mécanisme même du rachat par LBO. Les dirigeants personnes morales ont quant à eux fait valoir que les distributions de dividendes n’avaient pas de lien direct avec l’aggravation postérieure de l’insuffisances d’actif.  

La chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt de rejet en date du 9 septembre 2020 [1], vient rappeler le fondement de la distribution de dividendes. Elle ne peut être décidée qu’au regard de la situation financière de la société. En conséquence, elle doit seulement tenir compte de la situation de trésorerie de l’entreprise et non de l’opération de rachat par LBO sous-jacente.

Prévue dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, l’action en comblement de passif visée à l’article L.651-2 du Code de commerce permet de mettre à la charge d’un ou plusieurs dirigeants fautifs l’aggravation de l’insuffisance d’actif de la société. Il convient dès lors d’observer la réunion de deux éléments afin d’engager la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif : une faute de gestion et une aggravation de l’insuffisance d’actif.  Ces deux éléments soulèvent plusieurs interrogations dans le cadre d’une distribution de dividendes après rachat par LBO : une distribution peut-elle être considérée comme fautive alors qu’elle est inhérente à l’opération ? Dans quelles mesures une distribution de dividendes peut-elle entraîner l‘aggravation d’une insuffisance de l’actif ? 

1/ Une distribution de dividendes fautive, indépendante de l’opération de LBO 

Une opération de rachat par « effet de levier » dite « LBO » (Leveraged Buy-out) implique que la société reprise finance par remontée de dividendes à la société holding, qui la contrôle, la dette d’acquisition qui pèse sur elle. Tel est le schéma envisagé en l’espèce. S’il ne fait aucun doute que la distribution de dividendes est au cœur de la stratégie de LBO, la réciproque n’est pas vraie et les juges de la Cour de cassation en ont fait une stricte application. 

L’opération de LBO ne peut pas être la seule justification à la distribution de dividendes. Celle-ci reste conditionnée au fondement même de la création d’une société à savoir de «partager le bénéfice» entre les associés conformément à l’article 1832 du Code civil. Les juges du Quai de l’horloge en font alors une interprétation littérale : la décision de distribution de dividendes ne saurait être motivée que par la situation financière et la trésorerie de la société et non par une opération de rachat qui nécessite son recours. « La fin ne justifie pas les moyens ». En conséquence, si le versement de dividendes n’a été décidé qu’en considération de l’opération de LBO, il peut traduire un comportement fautif du dirigeant de nature à engager sa responsabilité pour insuffisance d’actif à l’occasion d’une procédure de liquidation judiciaire. Encore faut-il alors être capable d’identifier une aggravation de l’insuffisance d’actif.  

2/ Une aggravation extensive de l’insuffisance d’actif  

L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif suppose l’existence d’un préjudice subi par la société consistant en l’insuffisance de son actif dont le comportement fautif des dirigeants a contribué à son augmentation. Dans le cas d’espèce, l’insuffisance d’actif de la société à été constatée au cours de la procédure de liquidation judiciaire, il restait alors à démontrer que la faute des dirigeants avait entraîné son augmentation. Il ne s’agit alors pas simplement de comparer l’insuffisance au jour de l’ouverture et au jour de clôture de la procédure, mais bien de caractériser son existence au moment du fait fautif. L’ouverture d’une procédure collective étant sans incidence sur cette reconnaissance.

Or, la distribution  de dividendes litigieuse a été décidée en 2007, soit deux ans après l’opération de LBO et trois ans avant l’ouverture des procédures de redressement puis de liquidation judiciaire. Comme ont pu le soutenir les dirigeants, on aurait pu légitimement s’interroger sur la pertinence d’une aggravation de l’insuffisance d’actif, appréciable pendant une période de trois ans avant même la constatation de celle-ci. Pourtant, la chambre commerciale n’a pas hésité à reconnaître cette aggravation par le fait que la distribution de dividendes avait privé « la société de réserves anciennes qui auraient pu être affectées en 2009 au règlement des dettes échues » . De telle sorte que le lien de causalité entre la faute et l’insuffisance d’actif constatée est parfaitement caractérisé, peu importe le temps écoulé entre les deux évènements. 

3/ Une condamnation sévère mais circonstanciée  

La décision fait preuve de rigueur au regard de l’opération de LBO mise en place. Il faut pourtant bien connaître les faits litigieux pour comprendre la décision et les « responsabilités pour un LBO défaillant » [2]. A la lecture de l’arrêt de la Cour d’appel d’espèce [3], on comprend d’une part que la distribution a été financée à près de 80% par les réserves de la société et d’autre part que, trois ans après l’opération de rachat, on constatait des pertes d’un montant de 22 millions d’euros et une insuffisance d’actif de 42 millions d’euros. Surtout, les distributions avaient continué bien après la reprise en 2007.  

Si au regard des faits d’espèce la décision de condamnation semble donc devoir s’imposer, on peut tout de même y voir la fragilisation des opérations de rachat d’entreprise sous forme de LBO. Comme l’a rappelé le Professeur François-Xavier Lucas [4] à la suite de la crise de 2008, les périodes de crise montrent que le risque est important que les entreprises cibles ne parviennent « plus à offrir à la holding de rachat des revenus suffisants pour assurer le service de la dette d’acquisition ». Par  voie de conséquence « la faillite de l’opération peut être l’occasion de rechercher des responsabilités visant à indemniser la collectivité des créanciers et les salariés qui risquent la ruine si les difficultés débouchent finalement sur une liquidation judiciaire ».  

Au regard du contexte économique tendu annoncé à la suite de la crise sanitaire, il peut être à espérer que de telles décisions demeurent « circonstanciées ». Une généralisation trop forte pourrait remettre en cause des opérations de LBO qui seront sans doutes amenées à s’accroître d’ici peu, poussées par le regain des activités de M&A et de Private Equity.

Martin AUBERT


[1] Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 9 septembre 2020, 18-12.444, Inédit

[2] Michel Germain, professeur émérite à l’Université de Paris 2 (Panthéon-Assas), Pierre-Louis Périn, avocat associé, Reed Smith, professeur affilié à l’école de droit de Sciences Po, “Le private equity sous l’œil des juges : quelles responsabilités pour un LBO défaillant ?” BJS mars 2018, n° 118h3, p. 143 

[3]  Cour d’appel de Nancy du 20 décembre 2017 n°15/02727

[4] François-Xavier Lucas, Professeur à l’école de droit de la Sorbonne (Université de Paris 1), BJS avril 2013, n° JBS-2013-0117, p. 267

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