I — Le droit antérieur
Lorsque les actions de sociétés par actions simplifiées ou les parts de société civile, de société en nom collectif, de SARL, de société en commandite simple étaient grevées d’un usufruit, l’alinéa 3 de l’article 1844 du Code civil prévoyait que le droit de vote appartenait au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il était réservé à l’usufruitier.
L’alinéa 4, quant à lui, prévoyait la possibilité pour les statuts de déroger à ces dispositions.
Depuis l’arrêt Hénaux, la Cour de cassation avait consacré l’impossibilité de priver l’usufruitier de son droit de vote en matière d’affectation des bénéfices[1]. Cette position prise contra legem, l’article 1844 lui-même prévoyant qu’il était possible de déroger à ses dispositions, était fondée sur le droit des biens et en particulier sur l’article 578 du code civil qui prévoit que l’usufruitier a le droit de “jouir de la chose dont un autre a la propriété”.
Dans le silence du texte quant au droit de participer aux assemblées générales, la Cour de cassation s’était prononcée en reconnaissant ce droit au nu-propriétaire, et ce, même lorsqu’il ne disposait pas in fine du droit de vote[2]. En revanche, la Haute juridiction avait dénié́ ce droit à l’usufruitier. Ainsi, une assemblée générale à laquelle n’avait pas été convoqué l’usufruitier ne pouvait être annulée dès lors que le droit de vote pour les décisions prises appartenait au nu-propriétaire[3]. Cette divergence de solution reposait principalement sur le fait que si la Cour de cassation reconnaît pleinement la qualité d’associé au nu-propriétaire[4], tel n’est pas le cas pour l’usufruitier.
Le contentieux relatif à la répartition du droit de vote et du droit de participer aux assemblées étant récurrent, la loi du 19 juillet 2019 est venue clarifier la situation pour le nu-propriétaire et l’usufruitier.
II — Les apports de la loi SOILIHI
L’enjeu de cette réforme est d’optimiser la pratique en clarifiant et en sécurisant les règles d’attribution des droits attachés aux parts et actions d’une société ayant fait l’objet d’un démembrement entre usufruitier et nu-propriétaire.
La nouvelle rédaction de l’article 1844 du Code civil, entrée en vigueur le 19 juillet 2019, est la suivante : “Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives (…) Si une part est grevée d’un usufruit, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives. Le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier. Toutefois, pour les autres décisions, le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l’usufruitier.
A — S’agissant du droit de vote
Pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, le droit reste en l’état puisque le droit de vote appartient toujours à l’usufruitier. Cependant, pour toutes les autres décisions, la loi SOILIHI apporte une nouveauté puisque désormais, bien que le nu-propriétaire détient en principe le droit de vote, il est précisé que l’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent convenir que ce droit sera exercé par l’usufruitier. Il s’agit d’aménager la répartition du droit de vote dans une convention signée par ces derniers en dehors des statuts. En outre, si comme auparavant, les statuts peuvent aménager la répartition du droit de vote entre le nu-propriétaire et l’usufruitier, ces derniers ne pourront ni interdire, ni limiter la convention conclue entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. Une partie de la doctrine considère également que l’accord du nu-propriétaire (associé) devra être sollicité à chaque fois qu’une décision devra être prise à l’unanimité des associés, et ce, même en présence d’une clause statutaire conférant tous les droits de vote à l’usufruitier[5].
En revanche, la loi ne modifie pas le droit applicable aux sociétés anonymes et aux sociétés en commandite par action, celles-ci étant assujetties à un droit spécial. Les droits sociaux démembrés de ces sociétés sont donc toujours régis par l’article L. 225-110 alinéa 1 du code de commerce qui prévoit que : “Le droit de vote attaché à l’action appartient à l’usufruitier dans les assemblées générales ordinaires et au nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires”.
B — S’agissant du droit de participer aux réunions
Jusqu’à la loi SOILIHI du 19 juillet 2019, le droit du nu-propriétaire et de l’usufruitier de participer aux décisions collectives n’était visé par aucune disposition légale.
La loi nouvelle, dans une optique de clarification et de sécurisation, est venue consacrer la jurisprudence constante qui reconnaissait au nu-propriétaire le droit de participer aux assemblées générales ordinaires et extraordinaires, y compris lorsque le droit de vote appartient à l’usufruitier[6].
Mais la loi a fait preuve d’une grande innovation en reconnaissant également ce droit à l’usufruitier.
Ainsi, le principe est désormais le suivant : le droit de participer aux assemblées appartient à l’usufruitier et au nu-propriétaire quel que soit le titulaire du droit de vote et ce, sans que les statuts puissent y déroger[7]. Usufruitier et nu-propriétaire disposent donc désormais du même droit d’information.
En pratique il sera donc important de convoquer systématiquement usufruitiers et nu-propriétaires de droits sociaux démembrés aux assemblées générales et d’informer systématiquement l’usufruitier de la consultation écrite du nu propriétaire même lorsqu’il ne dispose pas du droit de vote.
En l’absence de dispositions spéciales quant au droit de participer aux débats, la nouvelle rédaction de l’article 1844 du Code civil s’appliquera à toutes les sociétés, y compris aux sociétés anonymes et aux sociétés en commandite simple.
En cas de location de parts ou d’actions, les mêmes règles sont applicables. En effet, pour l’exercice des droits liés aux titres sociaux loués, à la réserve du droit de vote, le bailleur est assimilé au nu-propriétaire et le locataire à l’usufruitier. Le droit de vote attaché à l’action ou à la part sociale louée revient au bailleur dans les assemblées statuant sur les modifications statutaires ou la modification de nationalité de la société et au locataire dans les autres assemblées[8].
En définitif, même si la loi SOILIHI a clarifié les droits respectifs de l’usufruitier et du nu-propriétaire, le législateur n’a pas souhaité profiter de l’occasion pour trancher une bonne fois pour toutes sur laquestion de savoir qui avait véritablement la qualité d’associé.
Il en résulte qu’une incertitude persiste sur ce point qui divise la doctrine. En effet, certains comme A. Viandier considèrent ainsi que n’ayant pas effectué d’apports, l’usufruitier ne peut être reconnu comme associé, puisque l’apport est une condition indispensable pour revêtir la qualité d’associé. D’autres, comme M. Cozian considèrent qu’ayant tous les attributs d’un associé – droits politiques et droits financiers – l’usufruitier serait un associé méconnu. Or, cette incertitude a des incidences directes notamment en ce qui concerne la distribution de réserves, de résultats exceptionnels ou encore la nomination au poste de dirigeant social (puisque dans certains cas la loi ou les statuts réservent cette
fonction à un associé)
…
[1] Cass.com., 31 mars 2004, n°03-16.694
[2] Cass. com., 4 janv. 1994, n°91-20256
[3] Cass. 3e civ. 15-9-2016 n°15-15.172
[4] Cass. 3e viv. 5-6-1973 n°72-12.634 ; Cass.com 4-1-1994 n°91-20.256 P ; Cass. 2e civ. 13-7-2005 n°02-15.904 FS-PB
[5] Bulletin rapide de droit des affaires EFL du 01/09/2019
[6] Cass. com. 4-1-1994 : RJDA 5/94 n° 526 ; Cass. 2e civ. 13-7-2005 n° 1252 : RJDA 11/05 n° 1224 ; Cass. com. 2-12-2008 n° 08-13.185 : RJDA 3/09 n° 231
[7] C.civ. art. 1844 modifié ; Loi art.3
[8] C.com. art. L 239-3, al. 2