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La taxe GAFA : les géants du numérique enfin taxés ?

Le 14 octobre dernier, les ministres des Finances du G20 ont annoncé avoir échoué à négocier sur la taxation des activités des grandes entreprises du numérique, sur la base des travaux réalisés par l’OCDE.

Annoncée comme solution à la problématique de numérisation croissante de l’économie, la mise en place d’une taxe numérique multilatérale applicable aux GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon),  n’est donc toujours pas concrétisée. 

Ces géants du web, au cœur des nouvelles économies numériques, se sont imposés ces dernières années comme des acteurs monopolistiques du secteur technologique, imposant aux États une puissance quasiment égale à la leur sur le plan digital, commercial mais également financier. Or, à l’heure où les pays tentent de trouver le moyen de combler leur déficit public accentué par la crise de COVID-19, la taxe GAFA est plus que jamais une question d’actualité.

I. L’optimisation fiscale des GAFA au coeur du problème

Outre les critiques qui peuvent leur être adressées par les États sur leur non-respect des règles de concurrence ou leur absence de transparence quant au traitement des données personnelles des utilisateurs, les GAFA usent et abusent d’un système fiscal international dépassé qui ne correspond plus à la réalité de leur activité. En effet, toutes ces entreprises ont une chose en commun : elles offrent des services dématérialisés. Or, ceux-ci sont difficilement localisables et peuvent être aisément réalisés depuis n’importe quel pays ; elles n’ont donc pas à être physiquement présentes dans tous les États où se trouvent leurs utilisateurs. Les géants du numérique vont donc faire en sorte de localiser leurs activités et de faire remonter leur chiffre d’affaires dans des pays ayant un faible taux d’imposition sur les bénéfices. C’est notamment le cas d’Apple et de Facebook qui ont choisi d’implanter leur siège européen en Irlande, où le taux d’imposition est de 12,5%.

Ainsi et en l’absence d’harmonisation fiscale entre les États, les grandes entreprises du numérique peuvent réduire considérablement leur charge fiscale en jouant sur les différences de taux entre les pays. En conséquence, les géants du numérique sont bien moins taxés que les entreprises dites “traditionnelles” en Europe. Bien que parfaitement légal, ce système ne convient plus à de nombreux pays, notamment européens, pour qui la perte de revenus estimée est importante. Pour eux, la seule solution possible afin de mettre fin à ce système d’optimisation fiscale semble être la mise en place d’une taxe numérique imposant les entreprises dans chaque pays où se trouvent leurs utilisateurs.

II. Des initiatives multilatérales à différents niveaux : L’UE et l’OCDE 

  • Au niveau de l’Union Européenne

Au sein de l’Union européenne, l’idée d’une taxe numérique sur les géants du web est discutée depuis plusieurs années. Le 23 mars 2018, la Commission européenne a dévoilé son projet afin de parvenir à une imposition plus juste. L’idée était de taxer à hauteur de 3%, dans tous les États membres, le chiffre d’affaires réalisé par les activités numériques de vente de données personnelles, de publicité en ligne ciblant les utilisateurs en fonction de leurs données, et d’intermédiation mettant en relation les acheteurs et vendeurs de biens et services. La taxe GAFA européenne serait due dans chaque État membre, en proportion de l’utilisation des services dans chaque pays. Cette taxe ne viserait que les groupes dont le chiffre d’affaires annuel mondial dépasserait 750 millions d’euros et dont les revenus dans l’Union européenne excéderaient 50 millions d’euros. La volonté d’imposer les plus grosses entreprises du numérique est ici clairement affichée, alors que les plus petites entreprises échapperaient à l’imposition. 

Pour autant, le projet européen s’est heurté à de nombreux obstacles. L’unanimité en termes de fiscalité étant requise au sein de l’UE, celle-ci est difficilement atteignable car certains États, comme l’Irlande ou le Luxembourg, bénéficient de la pratique d’optimisation fiscale des géants d’Internet ; c’est en effet dans ces pays au taux d’imposition avantageux que ces entreprises se sont implantées physiquement, et y sont donc imposées. De la sorte, le système fiscal actuellement en vigueur est pour eux un levier d’attractivité auquel ils ne souhaitent pas renoncer. Opposés à l’idée de compliquer la coopération en matière de fiscalité, le Danemark, la Suède, la Finlande et l’Irlande ont voté contre ce projet. Dès lors, sauf accord entre les 27, le projet européen de taxe sur les services numériques est en suspens. 

  • Au niveau de l’OCDE 

 Face aux difficultés rencontrées, les États membres de l’UE favorables à la mise en place de la taxe sur les services numériques ont décidé de se tourner vers l’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE). Les pays du G20 ont mandaté l’organisation afin de réformer le système fiscal international, rendu inefficace par les pratiques des GAFA. Un accord de principe fut annoncé le 29 janvier 2019 entre 127 États de l’OCDE, et un cadre pour adapter la fiscalité de ces entreprises numériques aux défis de la mondialisation fut défini. Le premier objectif était de fixer de nouveaux critères afin de taxer les multinationales du numérique là où elles réalisent effectivement leur chiffre d’affaires. Puis, le second objectif était d’introduire un minimum d’imposition sur les bénéfices, au niveau mondial. 

Cette initiative majeure fut discutée le 14 octobre dernier. Cependant, les négociations entre les ministres des Finances ont échoué, et ont été reportées à 2021. Il faut ici préciser que les États-Unis se sont toujours opposés à cette taxe. Malgré des avancées positives sur le sujet, ils ont pourtant décidé de suspendre leur participation aux négociations jusqu’aux élections présidentielles du 3 novembre dernier, ce qui a influé, en plus du contexte sanitaire actuel, sur l’échec des discussions au sein de l’OCDE. Dans un courrier en date du 12 juin dernier adressé à l’OCDE et aux ministres des Finances de France, du Royaume-Uni, d’Espagne et d’Italie, Steven Mnuchin, secrétaire au Trésor des États-Unis, a affirmé que « Les Etats-Unis estiment que 2020 n’est pas la bonne année pour conduire de telles négociations ». Selon lui, « précipiter des négociations si difficiles reviendrait à se détourner de sujets bien plus importants ».

III. La concrétisation au niveau national

À défaut de réalisation multilatérale, des projets de taxation des GAFA se sont concrétisés au niveau national. Le 11 juillet 2019, le Parlement français a définitivement adopté le Projet de loi sur la taxation des entreprises numériques, soutenu par Bruno le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance. La volonté affichée était de taxer les entreprises numériques à l’image des entreprises françaises. Codifiée à l’article 299 du Code général des Impôts, la taxe concerne les entreprises ayant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 750 millions d’euros dans le monde, et à 25 millions d’euros en France. Son montant est de 3 % du chiffre d’affaires réalisé dans le pays. Basée sur l’idée que c’est l’utilisateur qui crée de la richesse, la taxe a vocation à s’appliquer aux seuls services numériques de publicité ciblée, d’intermédiation et de ventes de données personnelles, dans la droite ligne du projet européen. 

L’initiative française a donné une impulsion à certains voisins européens : la taxe numérique italienne entrée en vigueur en janvier 2020 s’élève également à 3%, lorsque celle de l’Autriche atteint 5%. Au Royaume-Uni, un taux de 2% a été retenu. Quant à l’Espagne, la mise en place d’une taxe GAFA en est au stade de projet.  

Cependant, en janvier dernier, Bruno Le Maire a décidé d’en suspendre l’application jusqu’à décembre 2020, afin de laisser le temps aux 137 pays membres de l’OCDE de négocier sur le sujet. Mais les négociations au sein de l’organisation ayant échoué en octobre dernier et reportées à 2021, Bruno Le Maire a annoncé que la France appliquera de nouveau la taxe au mois de décembre. Peu optimiste, le ministre a notamment déclaré « Il n’y aura pas d’accord en février, ni en mars, ni en avril. Même en cas de changement à la présidence des Etats-Unis, il ne faut pas se faire d’illusions sur un changement radical de la position américaine ». Ainsi, un acompte sur l’impôt 2020 sera bien prélevé d’ici à la fin de l’année, et le solde devrait être acquitté début 2021. Cette taxe pouvant rapporter à l’État près de 500 millions d’euros, elle restera en vigueur jusqu’à ce qu’un accord sur la question soit trouvé, au moins au niveau européen. 

IV. Quelles conséquences pour les États ?

À l’échelle mondiale, la mise en place d’une telle taxe pourrait rapporter près de 200 milliards de dollars par an aux États concernés. Cela représente un intérêt majeur pour eux, d’autant plus que le contexte actuel de pandémie mondiale tend à creuser de plus en plus leur déficit public. 

Pour autant, la mise en place de cette taxe numérique n’est pas sans risque. En effet, les pays s’exposent à des mesures de rétorsion, voire à une guerre commerciale, notamment de la part des États-Unis, pays d’origine de ces entreprises. La France, après son adoption de la taxe sur les services numériques en juillet 2019, s’est vue directement menacée par Washington de l’application de droits de douane supplémentaires de 25% sur certains produits français d’une valeur commerciale de 1,3 milliard de dollars, comme les produits cosmétiques.

Les États ont également à craindre de la réaction des GAFA, ces derniers se déclarant discriminés par rapport aux autres entreprises du numérique. En réaction aux différentes taxes votées par certains États, les géants du web entendent désormais répercuter directement ce changement de fiscalité sur leurs utilisateurs. C’est notamment le cas de Google, Amazon et Apple qui ont récemment annoncé des hausses de prix de certains de leurs services dans plusieurs pays, dont la France. À titre d’exemple,  le mardi 1er septembre 2020, Apple a  informé les développeurs français que la taxe nationale de 3% serait désormais incluse dans le calcul de leurs revenus générés dans l’Apple Store. Il en ira de même en Italie et au Royaume-Uni, pour respectivement 3% et 2% de report de la taxe. 

Ainsi, il est à craindre qu’à terme, les États ayant décidé de la mise en place d’une taxe numérique au niveau national se trouvent en position de faiblesse face aux géants du numérique, d’autant que nombre d’entre eux comme l’Allemagne sont encore réticents à l’idée d’affronter la souveraineté digitale de ces multinationales. A défaut d’être entourés de partenaires commerciaux, ces pays risquent d’être isolés. Il est également à noter qu’une multiplication des initiatives nationales, conformément à la tendance actuelle, risquerait de complexifier davantage un système fiscal international déjà fragile. 

Pour toutes ces raisons, il semblerait qu’une approche globale plutôt que unilatérale soit à privilégier, si les pays souhaitent pouvoir faire face à la puissance des GAFA. Les négociations au sein de l’OCDE étant pour le moment en suspens pour l’année 2020, il est à espérer qu’elles pourront être menées à bien en 2021, confortées par une volonté internationale attendue.

Camille LE CUZIAT

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