La société Vente-privée.com, créée en 2001, organise des ventes événementielles éphémères pour ses membres sur son site internet. La société Showroomprivé.com exerce, quant à elle, la même activité depuis sa création en 2006. Dès 2013, cette dernière a multiplié les tentatives pour faire annuler les signes distinctifs de sa concurrente. Dans le dernier arrêt en date, la Cour d’appel tranche en faveur de la société Vente-privée.com.
En 2013, la société Showroomprivé.com a obtenu en première instance l’annulation de la marque nominale « vente-privee.com » pour défaut de caractère distinctif. En effet, il a été jugé que le signe renvoyait directement aux services de vente en ligne désignés dans l’enregistrement (TGI Paris, 28 novembre 2013, n° 12/12856).
En 2015, la Cour d’appel confirme que le signe n’est pas intrinsèquement distinctif compte tenu de son caractère usuel et descriptif. Toutefois, elle admet que ce caractère distinctif a été acquis par l’usage intense, continu et de longue durée du signe « vente- privee.com » à titre de marque (CA Paris, 31 mars 2015, n° 13/23127).
Cette décision est confirmée par la Cour de cassation en 2016 (Com. 6 décembre 2016, n° 15-19.048).
La même année, la société Showroomprivé.com a assigné sa concurrente pour obtenir l’annulation partielle de la marque semi-figurative « vente-privee ». En 2019, le jugement de première instance confirme l’acquisition du caractère distinctif
par l’usage de la marque « vente-privee » associée au papillon rose mais annule le dépôt jugé frauduleux (TGI Paris, 3 octobre. 2019).
La société Vente-privée.com a interjeté appel de ce jugement. En 2021, la Cour d’appel de Paris statut, d’une part, sur le caractère distinctif de la marque et, d’autre part, sur le caractère frauduleux du dépôt.
I – Le caractère distinctif de la marque semi-figurative
Un signe doit avoir un caractère distinctif pour pouvoir être enregistré à titre de marque auprès de l’INPI. En effet, la fonction essentielle de la marque est d’identifier et de distinguer les produits ou services d’une entreprise par rapport à ceux de ses concurrents.
Par conséquent, une société ne peut pas s’approprier des termes génériques, usuels ou descriptifs qui doivent rester à la libre disposition des entreprises.
L’article L. 711-2, dans sa rédaction applicable au litige, liste les signes qui sont dépourvus d’un caractère distinctif. Il s’agit principalement des signes génériques ou descriptifs.
Ce caractère distinctif est apprécié au regard des produits ou services désignés dans l’enregistrement et en tenant compte du signe dans son ensemble.
En l’espèce, la Cour d’appel considère que l’expression « vente-privee » accompagnée du papillon rose stylisé a un caractère distinctif à l’égard des produits et services qu’elle désigne. L’association de ces deux éléments permet au public d’identifier les services comme appartenant à la société Vente-privée.com.
L’argumentaire de la Cour d’appel rappelle l’intérêt pour une entreprise de déposer une combinaison de signes à titre de marque. En effet, le caractère distinctif d’une marque complexe est plus facilement démontrable. Il peut s’agir, comme en l’espèce, d’une marque semi-figurative, c’est-à-dire composée d’éléments nominatifs et figuratifs.
II – L’absence de fraude dans le dépôt de la marque complexe
Une marque enregistrée de façon frauduleuse peut être annulée. La Cour de cassation estime qu’un dépôt de marque « est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité » (Com. 25 avril 2006 n°04-15.641).
En l’espèce, la Cour d’appel estime que le dépôt de la marque « vente-privee » n’est pas frauduleuse pour deux raisons.
Tout d’abord, la société Vente-privée.com avait un intérêt légitime à déposer sa marque auprès
de l’INPI afin de protéger le signe qu’elle utilisait de manière continue pour identifier ses services.
Ensuite, il est rappelé que la marque complexe est protégée dans son ensemble. Par conséquent, les mots « vente » et « privée » peuvent être utilisés librement par les entreprises concurrentes. L’intention de la société Vente-privée.com n’était donc pas de priver ses concurrents de l’utilisation de ces termes sur lesquels elle ne dispose d’aucun droit.
Dès lors, le dépôt de la marque par la société Vente-privée.com n’était pas frauduleux et ne doit pas être annulé.
Si la Cour d’appel fait droit aux demandes de la défenderesse s’agissant de sa marque semi- figurative « vente-privee », la société Vente- Privée.com a tout de même choisi de changer de signe distinctif depuis 2019. Elle utilise désormais le terme « veepee » associé au papillon rose, une expression utilisable à l’international et plus facilement protégeable par le droit des marques.
Sources :
. Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 2, 17 Septembre 2021 – n° 19/20427
. CA Paris, pôle 5 – 1re ch., 31 mars 2015, n° 13/23127
. NICOLET Etienne, « Marque – Aux origines de la marque : le caractère distinctif, encore et toujours », Revue Propriété industrielle n° 11, Novembre 2021, étude 23, ed. LexisNexis
. CORDIER Gaëtan et DUBOIS AHLQVIST Clémence, « Distinctivité de la marque ‘vente-privee’ : fin de la saga judiciaire ? » 17 septembre 2021, Dalloz Actualité, n°19/20427.
. TREFIGNY Pascale, « Distinctivité – Vente-privee.com : pas distinctif, mais distinctif ! L’art du temps ! », Revue Propriété industrielle n° 5, Mai 2015, ed. LexisNexis.
. BONET Georges et actualisé par SABBAH Jeoffrey, « Synthèse – Marques. Signes protégés », JurisClasseur Marques – Dessins et modèles, 14 Juin 2021, ed. LexisNexis.
. BERTRAND Philippe, « Vente-privée va devenir « Veepee », 24 janvier 2019, Les Echos.