La cession de l’entreprise, dans le cadre d’une procédure collective, a été prévue par le législateur français afin de répondre aux impératifs de maintien de l’emploi et de continuité d’activité. Sont notamment concernées les cessions partielles d’activité en complément d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire (article L.626-1 et L.631-19 Code de commerce) et la cession totale de l’entreprise en redressement (article L.631-22 Code de commerce).
C’est dans le cadre de cette dernière procédure qu’a été organisée la reprise de l’enseigne d’ameublement Alinéa. Celle-ci, placée en redressement judiciaire depuis le 13 mai 2020, a été dans l’impossibilité de présenter un plan de redressement viable. En conséquence, le tribunal de commerce de Marseille a validé le 14 septembre dernier l’offre de reprise formulée par Alexis Mulliez, son président. Assortie de la fermeture de plusieurs points de vente et de la suppression de près de 1000 emplois, cette reprise a suscité de nombreuses réactions. Le recours a une telle procédure a pourtant été facilitée par l’Ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020, portant adaptation des règles relatives aux entreprises en difficulté et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de Covid-19.
Effet d’aubaine ou ajustements juridiques nécessaires : la reprise de l’enseigne Alinéa nous plonge au cœur des nouvelles adaptations des procédures collectives.
I – L’adaptation du plan de cession à la crise sanitaire
A – Les cessions d’entreprises facilitées
Afin de soutenir les entreprises fragilisées par la crise économique qui s’annonce, les pouvoirs publics ont souhaité adapter les procédures collectives. Dans ce contexte, l’ordonnance du 20 mai 2020 a modifié l’article L. 642-3 du Code de commerce. Ce dernier interdit par principe à un dirigeant de formuler une offre de reprise de sa propre entreprise dans le cadre d’un plan de cession. Toutefois, il était possible, sur requête du ministère public d’y déroger (article L.642-3 alinéa 3 du Code de commerce).
Imaginée à l’origine pour éviter toute situation de fraude par l’intervention du ministère public, cette disposition a été assouplie par l’article 7 de l’Ordonnance n°202-596 qui prévoit désormais la possibilité pour le débiteur ou l’administrateur de formuler directement cette requête. Ce dispositif a été envisagé afin de faciliter et d’encourager les cessions judiciaires dans un contexte économique fragile. Le rapport au Président de la République le mentionne de manière explicite : « Les difficultés économiques actuelles que connaissent les entreprises justifient que la cession des entreprises en difficulté soit facilitée ». L’objectif du gouvernement est clair : s’assurer de la pérennité des entreprises en permettant au dirigeant, par la reprise, de bénéficier d’un effacement des dettes.
B – L’illustration par la reprise Alinéa
La reprise de la société Alinéa par ses actionnaires est sans doute celle qui a le plus fait réagir l’opinion publique à ce jour. Pourtant, cette reprise n’est pas isolée puisqu’elle est envisagée par différentes opérations de restructuration telles que Camaïeu ou encore Orchestra.
En l’espèce, l’offre de reprise retenue a été celle de la société Néomarché détenue et dirigée par Alexis Mulliez, également Président de l’enseigne. Cette reprise prévoit la fermeture de 17 magasins et la suppression d’environ 1000 postes dont une partie devrait être reclassée dans les autres sociétés de la famille Mulliez (Auchan, Décathlon, Boulanger).
La crise sanitaire n’a fait qu’accentuer des difficultés financières et les restructurations internes que l’enseigne d’ameublement subissait déjà. La cession facilitée prévue par l’article 7 de l’ordonnance a donc permis à la famille Mulliez d’assurer une continuité d’exploitation à son entreprise de décoration et d’ameublement.
II – L’encadrement d’une procédure contestée
A – Le maintien de l’emploi au cœur des préoccupations
Un encadrement a été mis en place afin d’organiser ces cessions. Ce n’est, qu’à défaut de pouvoir assurer lui-même la poursuite de l’activité dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement et en apportant les garanties nécessaires pour préserver les emplois, qu’un dirigeant pourra formuler une telle offre de reprise (article 7 de l’Ordonnance n° 2020-596).
Les conséquences de l’assouplissement de l’article L. 642-3 du Code de commerce sont nombreuses : l’effet d’effacement des dettes, au profit du dirigeant en est la plus flagrante. C’est aussi cet effet qui induit un risque plus important de comportements opportunistes.
Un encadrement supplémentaire était donc nécessaire. Il a alors été prévu l’intervention du ministère public, avec effet suspensif, afin de s’assurer que la nouvelle mesure d’adaptation ne soit pas déviée de son objectif premier. En reprenant une nouvelle fois les propos mentionnés dans le rapport au Président : « Le tribunal et le ministère public veilleront à ce que le plan de cession ne soit pas seulement l’occasion, pour le débiteur, d’effacer ses dettes et de réduire ses effectifs en présentant lui-même, ou par personne interposée, une offre de reprise ».
B – Le risque de déviance comme enjeu majeur
Évidemment, l’opinion publique et les organisations syndicales se sont rapidement émues des conséquences sociales d’une telle cession. Pourtant les praticiens et la doctrine semblent s’accorder pour reconnaître les effets bénéfiques d’une telle procédure.
D’une part, les anciennes restrictions imposées par l’article L.642-3 du Code de commerce ont été plusieurs fois critiquées. En effet, si le débiteur n’était pas directement en mesure de présenter sa propre requête auprès du tribunal, il le faisait en pratique par l’intermédiaire du ministère public. Il s’agit donc plus d’une modification procédurale que de la reconnaissance d’un droit nouveau pour le débiteur. D’autre part, l’impératif de maintien de l’emploi semble assuré dès lors que les juges interprètent la reprise par le débiteur comme une solution de recours ultime, lorsqu’aucun redressement ne peut s’avérer possible.
Il convient également de remarquer que, dans un contexte économique fragile, peu d’offres de reprises sont formulées devant les tribunaux. Par exemple, pour la reprise de la société Alinéa, la seule solution alternative à la liquidation judiciaire était justement l’offre formulée par la famille Mulliez. Bien entendu, on pourrait prévoir un contrôle supplémentaire afin de s’assurer que le redressement de l’entreprise n’est pas rendu impossible par le comportement fautif du débiteur qui souhaite bénéficier des conditions avantageuses d’une telle reprise. Cette solution proposée par Hélène Bourbouloux, administrateur judiciaire chez FHB (rapportée par l’article du 22/09/2020 Les Echos – “Entreprises en difficulté : le rachat par les dirigeants crée des remous”) aurait le mérite d’assurer un encadrement juridique supplémentaire afin d’éviter tout risque de déviance.
Pour mémoire, les dispositions dérogatoires prévues par l’ordonnance du 20 mai 2020 sont applicables jusqu’au 31 décembre 2020. Il faudra suivre de près l’éventuel renouvellement d’une telle mesure ou son adaptation face à la vague de faillites prévue au cours de l’année 2021.
Martin AUBERT et Victoire PINSON