directionDJCE@univ-rennes1.fr +33(0)2 23 24 64 91

Les conséquences de la reconnaissance du statut de gérant de succursale au représentant d’une personne morale

L’arrêt du 11 décembre 2019[1] de la chambre sociale de la Cour de cassation met fin à une série de décisions ayant opposé la société SFR à l’un de ses distributeurs et confirme les conséquences fâcheuses de la reconnaissance du statut de gérant de succursale au représentant d’une personne morale distributrice.

En droit français, une menace pèse sur les réseaux de distribution : celle de voir reconnu à leurs distributeurs le statut de gérant non salarié de succursale tiré du droit du travail. En effet, peu importe la formule contractuelle choisie par les parties au contrat de distribution, les conseillers prud’hommaux reconnaissent un tel statut à toute personne dont la profession consiste essentiellement à vendre des marchandises de toute nature, lorsque celles-ci sont fournies exclusivement ou presque par le fournisseur, que cette personne exerce sa profession dans un local fourni ou agréé par le fournisseur, aux conditions et à des prix déterminés par lui.

La reconnaissance de ce statut, souvent postérieure à la résiliation du contrat de distribution, conduit le fournisseur à devoir assumer toute une partie de la législation du travail.

Le distributeur peut ainsi bénéficier des avantages liés à ce statut tels que des rappels de salaires et des indemnités de licenciement et de préavis. Mais il ne peut en principe pas jouer sur les deux tableaux en bénéficiant également de la rémunération perçue en exécution du contrat initial. C’est la solution logique adoptée par la chambre sociale de la Cour de cassation. Ainsi, à l’occasion d’un arrêt opposant un locataire gérant de station-service à son fournisseur[2], la chambre sociale affirmait que « (…) M. X ne pouvait obtenir, au cours d’une même année, le cumul des sommes qui lui étaient dues à titre de salaires et de celles perçues à titre de bénéfice commercial ».

En toute logique, la solution devrait être identique lorsque la distribution se fait par l’intermédiaire d’une personne morale et que le statut de gérant non salarié de succursale est reconnu à son représentant.

C’était la position défendue par la société SFR, qui, suite à la reconnaissance du statut de gérant de succursale au profit du représentant de la personne morale avec qui elle avait contracté, tentait de faire imputer sur les rappels de salaires qu’elle lui devait les salaires qu’il avait lui-même perçu au titre de son mandat social.

Alors que la cour d’appel avait fait droit à sa demande, le distributeur se pourvu une première fois en cassation avec succès. La Cour de cassation refusa en effet d’opérer une telle imputation, au motif que « la compensation implique l’existence d’obligations réciproques entre les parties »[3].

Peu de temps après cet arrêt, et dans une ultime tentative d’éviter de supporter deux fois la rémunération afférant à la distribution de forfaits mobiles, la société SFR assigna la société de distribution ainsi que son dirigeant en réparation du préjudice subi du fait de sa condamnation à payer au dirigeant diverses sommes issues du statut de gérant de succursale.

La société SFR obtint à nouveau gain de cause en appel, les juges ayant raisonné sur le fondement de l’enrichissement sans cause pour ordonner la restitution des rappels de salaires, mais non des indemnités de licenciement et de préavis, qui étaient, selon eux, la conséquence du licenciement reconnu entre la société SFR et le gérant de succursale.

Un nouveau pourvoi était formé avec succès par le distributeur, permettant à la Cour de cassation, par un arrêt du 11 décembre 2019, de réaffirmer la prééminence du statut de gérant non salarié de succursale en ces termes :« lorsqu’un fournisseur conclu avec une personne morale un contrat pour la distribution de ses produits et que le statut de gérant de succursale est reconnu au dirigeant de cette personne, le fournisseur, condamné à payer ce dernier les sommes qui lui étaient dues en application de ce statut d’ordre public, n’est pas admis à réclamer à la personne morale, fut-ce pour partie, le reversement des sommes ayant rémunéré les prestations qu’elle a effectuées en exécution du contrat de distribution ».

En appliquant sans nuances le statut de gérant non salarié de succursale et en faisait fi des situations d’enrichissements injustifiés, la Cour de cassation réaffirme la prééminence de ce statut issue de la législation sociale sur le droit commercial de la distribution, incitant ainsi les professionnels à être vigilants dans le choix et la mise en œuvre de leur modèle de distribution.


[1] Cass. com., 11 déc. 2019, n°10-10.790

[2] Cass. Com., 13 mars 2001, n°99-40.193

[3] Soc., 12 février 2014, n°12-28.160

Votre commentaire